Les bactéries à protéorhodopsine
Caractères généraux des bactéries à protéorhodopsine
Les rhodopsines procaryotiques sont bien connues chez les Archaea halophiles extrêmes (Haloarchea). Toutes les protéines de la superfamille des rhodopsines sont dépendantes de la lumière, et leur répertoire fonctionnel est vaste : pompes à protons transmembranaires (bacteriorhodopsines et xanthorodopsines), pompes à chlore (halorhodopsines), récepteurs à la lumière (rhodopsines sensorielles) (Béjà et al. 2000, Baliga et al. 2004, Balashov et al. 2005). Les rhodopsines sont aussi connues chez les Eucaryotes comme des protéines sensorielles impliquées dans les mécanismes de la vision en couleur (Baldwin et al. 1997).
La découverte des rhodopsines dans l'environnement marin est très récente. En 2000, lors du séquençage de larges fragments d'ADN issus de l'Océan Pacifique, il a été montré qu'un de ces fragments portait un gène codant pour un type de rhodopsine jusque là inconnu, et nommé protéorhodospine (PR). Ce fragment d'ADN portait aussi un gène ADNr16S, ce qui a permis d'établir qu'il provenait d'une bactérie du clade non cultivé SAR86. Cette étude a été la première à révéler non seulement la présence de la rhodopsine dans l'eau de mer mais aussi chez des membres du domaine Bacteria (Béjà et al. 2000).
Cette PR marine a par la suite été caractérisée comme une protéine transmembranaire, composée de sept hélices a formant une poche contenant un rétinal (chromophore). L'absorption d'un photon entraîne un changement de conformation de la protéine permettant le passage d'un ion à travers le tunnel central. Les analyses spectroscopiques ont révélé que les PR marines fonctionnent comme des pompes à protons (Béjà et al. 2000, Béjà et al. 2001).
Plusieurs études suggèrent que les bactéries à PR sont abondantes et ubiquistes dans les communautés microbiennes de tous les océans du globe. Ainsi, des PR ont été recensées dans les mers Rouge, Méditerranée, des Sargasses ainsi que dans l'Océan Pacifique (Béjà et al. 2000, Man et al. 2003, Sabehi et al. 2004). Il a aussi été montré que certains représentants cultivés de groupes bactériens très abondants et ubiquistes dans la mer contenaient des PR (comme SAR11 ou SAR 86) (Béjà et al. 2000, Giovannoni et al. 2005). Le séquençage massif d'un échantillon de la mer des Sargasses par une approche de type shotgun a récemment confirmé cette abondance de PR dans les communautés microbiennes. Après séquençage de 1500 litres d'eau de mer, 743 gènes de PR ont été détectés sur un total de 1164 gènes d'ADNr16S (ratio 0.7) (Venter et al. 2004).
Les PR sont distribuées dans de nombreux groupes phylogénétiques marins. Les gènes de PR ont été clairement détectés dans 3 souches bactériennes appartenant à des groupes phylogénétiquement éloignés: SAR11 [Pelagibacter ubique (Giovannoni et al. 2005)]; Flavobacteria [Dokdonia sp. MED4 (Gomez-Consarnau et al. 2007), Leeuwenhoekiella blandendis (Gomez-Consarnau et al. 2007)]. Cependant, des approches moléculaires (banques de fosmides et approches de séquençage massif par shotgun) ont aussi suggéré une distribution phylogénétique plus large des PR marines. A ce jour, il a été recensé 13 familles distinctes de PR dans les océans, affiliées à des groupes variés d' Alphaproteobacteria, de Gammaproteobacteria et de Bacteroïdetes (Venter et al. 2004). La présence de PR a aussi été détectée chez certaines Archaea marines. Certains auteurs ont démontré que cette distribution phylogénétique très large est fortement liée à des transferts horizontaux de gènes (Frigaard et al. 2006).
Une écologie et un rôle biogéochimique encore mal compris
Il a été prouvé que la souche à PR Dokdonia sp. MED134 a une croissance plus importante sous lumière modérée que dans le noir, suggérant ainsi que la PR donne aux bactéries qui la possèdent un avantage sélectif dans les eaux de surface, exposées à la lumière (Gomez-Consarnau et al. 2007). Cependant, cette hypothèse doit encore être étayée par d'autres arguments. En effet, un gène codant la PR a aussi été trouvé chez Pelagibacter ubique, une souche cultivée du clade ubiquiste SAR11. Or, les expérimentations en laboratoire n'ont montré aucune différence de sa croissance dans le noir ou en présence de lumière.
Croissance de la souche photohétérotrophe MED134 dans des cultures d'eau de mer. Les cellules sont incubées à la lumière (cercles ouverts) et à l'obscurité (cercles pleins). L'eau de mer est enrichie avec de la matière organique dissoute (DOC- abscisses). Des enrichissements à des concentrations de DOC proches de celles connues dans l'eau de mer conduisent à une augmentation des abondances bactériennes (Gomez-Consarnau et al. 2007).
Les bénéfices de la PR pourraient être plus prononcés quand la croissance bactérienne est limitée par la disponibilité en matière organique dissoute : l'hypothèse est que la lumière constitue une source d'énergie complémentaire lorsque les nutriments se font rares dans l'environnement (Giovannoni et al. 2005). Cependant, lorsque l'on examine les croissances de MED134 dans des cultures non enrichies en carbone organique, une faible croissance est observée, alors que des enrichissements avec des concentrations en carbone organique proches de celles connues dans l'eau de mer conduisent à une augmentation des abondances bactériennes. Ces résultats contradictoires montrent la nécessité de clarifier les liens entre réponse des bactéries à PR et disponibilité en matière organique dissoute (Gomez-Consarnau et al. 2007).
Bibliographie
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